Artiste
Romancière.Slameuse.Dramaturge
Romancière.Slameuse.Dramaturge
Vivre sur le fil renversé des mots et de l'espoir : c'est peut-être ce que les contemporains appellent poésie...
Ernis est une romancière et poétesse camerounaise. En 2022, son premier roman,‘’Comme une reine’’, publiée chez JC Lattès, remporte le prix Voix d’Afriques avec le partenariat de la Cité Internationale des Arts de Paris et de la Radio France Internationale. Ernis écrit sur la mémoire et la transmission. Sa poésie qui prend la forme du slam est une parole partagée sur les femmes, le conte et la représentation de la société qu'elle habite. Ernis dirige ‘’Lire au village ‘’, une association qu'elle a fondée et qui œuvre pour une éducation de qualité en Afrique.
22 pays parcourus pour partager les mots, l'écriture et le slam
Pochaines destinations:
Festival pour la suite du monde, Septembre 2025, Lyon-France
Festival du livre de Kinshasa, Novembre 2025, Congo Kinshasa
J’aime ces midis et ces minuits aux milles sensations
Où la peur et le désir s’écorchent à la même arête
Je hais le silence d’après
La vanité est comme ce vent violent
Qui vient déchirer l’aile d’un rapace en plein vol
Elle a un gout pénible et tragique de l’inachevé...
Ateliers d'écriture sur les mémoires alimentaires au lycée professionnel des métiers du soin de la Morlette à Bordeaux. Partenariat Agence ALCA- Institut des Afriques- Villa Valmont
CARTE BLANCHE
Bordeaux du 4 au 18 octobre.
Quelle joie d'avoir pris part à ce dialogue entre Institut des Afriques et Villa Lormont. Un projet qui a rassemblé les artistes, les universitaires et l'ensemble de la communauté bordelaise.
Pendant deux semaines, j'ai travaillé en atelier avec les jeunes de la Morlette sur les mémoires alimentaires.
Au loin, vous pouvez déjà entendre mon cœur palpiter à l'idée de revenir à la scène de slam.
Bordeaux, les beaux-arts, Saint-Michel, la rue Mercière, Les capu, toutes ces rues chaleureuses, Bordeaux la maison.
Ateliers d'écriture Bibliothèque François Mitterrand et autres médiathèques de Poitiers
Semaine de la femme, Marburg- Allemagne
Ateliers d'écriture African Women Development Fund
Texte à lire,
Publié en Inde en Français et en Anglais lors du festival de littérature de l'université de Dibrugarh
Titre : Mille ans de voyages à sens unique
Mille ans avant mes mots, Des hommes ont pris la route vers l'Afrique, naviguant jours et nuits, pour accomplir l’exploit de supposée mission civilisatrice.
Mille ans ! Mille ans de voyages à sens unique, mille ans de savoir exclusif, mille ans d’universalisme, mille ans de prétention et de transgression.
Mes mots ne savent pas exprimer la colère de cette génération qui se meurt au désert et en Méditerranée, accrochée au fil fragile de l'espoir. Ce matin, les pieds enfoncés dans le sable de Tamanrasset, je ne pleure plus. J’ai cessé de pleurer depuis que j'ai réalisé qu'il valait mieux lutter, car personne ne viendra à notre secours. Un froid glacial envahit ce désert qui m'offre sa vue pure et périlleuse. On pourrait presque penser qu'il n'y a aucun obstacle sur ce chemin. Mais l'obstacle, c'est précisément d'être seule ici, dans ce lieu stérile où la vie s'éteint en un instant. Mon corps est enveloppé dans une grande couverture qui me protège des rafales. Mes cheveux crêpelés, roulés en boules pour protéger mes oreilles des chuintements du vent. Je suis assise, repliée contre mes genoux. Contre mon ventre, dans la quatrième couche vêtement, dort ma fille, Zina. Elle a quatre mois. Est-ce qu’elle respire encore, j’ignore, mais je veux la protéger. Peut-être périra-t-elle avec moi, ensevelie dans ces vagues sable. Qu'elle parte avant moi ou que je parte avant elle, je veux qu'elle ressente ma protection jusqu'au dernier instant. Je souhaite que nous mourions l'une contre l'autre et que, dans mille ans, nos corps momifiés dans le sable demeurent attachés l'un à l'autre.
Mille ans de progrès et de voyages, pourtant, encore aujourd'hui, les frontières s'érigent comme l’infini mur de Berlin, face à ceux qui n'ont pas la bonne couleur.
Je suis arrivée en Algérie il y a vingt-quatre mois, jour pour jour. Comme ceux qui sont partis avant moi, j'ai pris mon départ. Et comme ceux qui partiront après moi si les grands discours ne se heurtent pas à la honte. Mon souhait était de rejoindre l'Europe, de découvrir d'autres mondes, d'autres cultures, d'autres modes de vie. Rien ne me prédestinait à un destin obscur. À Douala, je menais une existence paisible, oscillant entre expositions et lieux d'art. Je m'engageais activement dans la vie communautaire, citoyenne et publique, nourrissant des rêves de justice, d'égalité et de démocratie. J'étais une femme sur qui le monde pouvait compter, et je savais pouvoir compter sur le monde. Par un matin de janvier, alors que je naviguais dans le désordre de mon courrier, je découvris, non sans surprise, une lettre venant de très loin. J'étais conviée à l'un de ces sommets rassemblant la jeunesse du monde pour célébrer le concert des nations. Dans l'urgence, il me fallait me rendre au bureau des migrations pour obtenir le laisser-passer, ou plutôt, acheter le précieux cachet qui me permettrait de franchir les frontières visibles et invisibles. C'est un produit sans service client, satisfait ou dépité, avec une clause implicite de non-remboursement. Devant les bureaux battait une pluie diluviale. Nous, une poignée de centaines de gens qui se voyaient déjà survoler les cieux, attendions comme des sans-abris, trempés jusqu’aux dessous. L’excellente nouvelle est que j’ai essuyé un refus avec pour observations :« votre volonté de quitter le territoire des états membres avant l’expiration du visa n’a pas pu être établie ». Supputations, jugement de valeurs, procès d’intention, abus de pouvoir… J’ai pleuré. Tous les jeunes qui arpentent les rues de Douala nourrissent de grands rêves. Et malgré une société aux contours opaques, chacun trouve les moyens de poursuivre ses aspirations jusqu'au bout. Quant à moi, mon rêve était de rencontrer d'autres jeunes, issus de diverses civilisations. Mon rêve était simple : la liberté et rien ne pouvait m’en détourner.
Au moment où je pense à toutes ces choses, ma fille Zina se réveille, et je sens sa bouche chercher quelque chose à manger. La chaleur de nos corps crée un réconfort. La pauvre, que va-t-elle trouver dans ce sein qui n'en est plus un que de nom ? Pourtant, il y a de l'espoir. Même dans ces moments de solitude, mon enfant sait qu'elle peut compter sur moi pour survivre. Je n'ai ni mangé ni bu depuis deux jours, mais nous tenons bon. Il y a deux ans, en quittant Douala, je savais exactement où je me dirigeais. Avec mes compagnons de voyage, nous avions soigneusement tracé notre itinéraire, chaque étape étant planifiée minutieusement. Aucun obstacle imprévu ne devait entraver notre chemin.
De Douala à Maroua, du Tchad au Soudan, tout semblait sous contrôle, jusqu'à ce que l'espoir commence à s'évanouir dans cette prison libyenne. Là, nous avons été injustement incarcérés par les mêmes passeurs qui étaient censés nous protéger et nous guider tout au long de notre périple. Ainsi, c'est dans cette prison que j'ai conçu ma fille, sans savoir qui en est le père. Mon corps était 2 devenu un objet commun, un souffre-douleur. Par un miracle sublime, je me suis retrouvée de nouveau en Algérie, hors des geôles libyennes. Quel bonheur ! Cependant, en Algérie, j'ai rapidement pris conscience de ma couleur de peau, que ce soit de gré ou de force. J'ai compris que, bien que nous partagions la même histoire tumultueuse, la providence avait rapproché certains des dieux par la géographie et la carnation. Cela se manifestait dans leur manière de m'appeler : "Cousine !" Et les plus mécréants ajoutaient : "Nous sommes tous africains." Tamanrasset en hiver est glacial, surtout la nuit. Mais à mesure que le jour avance, le sable commence à se réchauffer.
Il y a deux jours, Zina et moi avons été abandonnées ici par le passeur chargé de nous conduire jusqu'au Maroc. Cette nuit-là, Zina a pleuré, étouffée par la surcharge du pick-up, où nous étions entassées comme du bois de chauffage. Les passeurs nous ont extirpées du véhicule et nous ont jetées comme des peaux de banane. Heureusement, cela a libéré de la place dans le véhicule. Ce n'est pas parce que ce malheur m'est arrivé que je ne vais pas admettre qu'il a fait le bonheur des autres. J'en ris même. Ici, face à moi-même, seule face à l'étendue infinie de sable, je m'accuse. Je n'aurais pas dû partir à tâtons et abandonner cette vie que j'avais dans mon pays. Elle n'était pas extraordinaire, mais elle n'était pas suicidaire non plus. Je m'accuse. Ma conscience épluche les souvenirs de mon enfance et les visages des personnes que j'aimais. Désormais, seul le visage de Zina m'accompagne par beau temps. Lorsqu'il fait chaud, je la cache en moi pour l'épargner de l'air de ce pays qui ne nous aime pas.
Mille ans de voyages à sens unique. Mille ans de mensonges. Mille ans de vies broyées. Les barrières ne sont ni le désert, ni la mer, Les barrières s’épanouissent dans la pensée humaine. Je repasse mon souvenir des débats télévisés, et ma conscience se remémore, sans en oublier un seul mot, tous les discours sur les droits humains que j'avais écoutés jusqu'à présent, avec leur lot de "patati et patata". Je pense que si je n'avais pas eu la mauvaise couleur de peau, je ne serais pas en train de mourir seule, avec mon enfant. Pendant deux jours, Zina n’a pas pleuré, comme si elle entendait ma douleur, comme si elle évitait accentuer mon supplice. Pendant deux jours, nous avons marché, nous n’avons rencontré personne. Le désert est à nous, à toutes les deux. La bonne nouvelle, c’est qu’ici et maintenant, nous sommes les reines de cet immense royaume et ni l’alliance, ni l’adversité ne viendra des humains, c’est certain. Nous sommes seules au monde. La nuit approche et le froid revient. Sous le rocher, je me pose. Je baise la joue de ma fille Zina, je l’enveloppe dans une échappe avant de la renvoyer dans mes entrailles. A quoi ça sert de se protéger du froid alors que l’on sait d’avance comment l’histoire va se terminer ? Je veux que mon enfant meure d’autres causes, pas de négligence. Quand je sens la tête de Zina se reposer sur pas poitrine, je m’entoure de la grande couverture, je cambre mes jambes vers le haut et je repose mon dos sur le rocher. Peut-être que demain nous serons trouvées, par pur hasard, peut-être pas. Ma fille, peu importe qui de nous deux meurt en premier, elle devra veiller sur l'autre et apaiser sa douleur jusqu'à son dernier souffle.
L’abrogation du code noir ne nous a pas rendue notre humanité, elle a fait naitre d’autres codes. Mille ans avant mes mots, les peuples sont morts même en restant chez eux. Mille ans avant mes mots, la bonne race parcourrait le monde.